Teaser: le début de la nouvelle version des Ailes froissées...
Chapitre 1
Ils ont fouetté Joaquim aujourd’hui.
J’ai compté les coups. Silencieusement, en bougeant légèrement les lèvres. À côté de moi, Calypso serrait le poing de façon convulsive. Dans les veines de ma sœur coule un sang bien différent du mien.
Elle est toute en acier, en passion et en flammes, tandis je me laisse balloter par le vent comme une plume de Vautour.
J’ai seize ans, et je ne crois pas que la vie ait beaucoup à m’apporter. Depuis ma naissance derrière les murs du camp d’Expiation, ce ghetto où pourrissent les derniers êtres humains encore en vie, je traverse les années sans me sentir vraiment concerné.
Calypso, elle, prend tout à cœur. Depuis toujours. C’est elle qui m’a élevé lorsque nous sommes devenus orphelins. Elle a dû assurer, alors qu’elle n’avait que treize ans et moi quatre. Elle parle sans cesse de rébellion. D’armes, de lutte. Elle fait partie d’un petit groupe de « résistants ». Ça me ferait rire, si je n’avais pas peur qu’elle se fasse tuer pour ça. Mais les Vautours, s’ils sont au courant, ne doivent pas se sentir trop menacés.
On est rentrés sans prononcer un mot, sous la pluie battante. Un vrai signe du destin, toute cette flotte. Il ne pleut jamais chez nous, d’ordinaire. La peau de rousse de ma sœur est bien peu faite pour supporter le climat désertique dans lequel nous nous débattons.
À peine couché, je ne cesse de revoir la scène de torture à laquelle nous avons assisté. Dans notre quartier, l’Aile Ouest du camp, Joaquim est très apprécié. Il entretient devant sa cabane de tôle un petit bout de jardin où il fait pousser des plantes bien particulières : il arrive, je ne sais comment, à en extraire certains sucs qui peuvent soulager de petites plaies ou des piqûres d’insectes.
Je ne sais même pas pourquoi il a été fouetté. Je n’ai pas écouté le discours préliminaire du Vautour. Je le revois encore, celui-là, particulièrement grand et bien fait, même pour quelqu’un de sa race. Les muscles développés de ses bras, ses traits durs, ses boucles de cheveux sombres, et ses immenses ailes à peine ourlées de gris. Un jeune, très certainement. Je le revois abattre son fouet sur le dos dénudé de Joaquim, et les chairs s’ouvrir sous la force des coups.
Joaquim aura bien besoin de ses propres décoctions, dans les prochains jours.