Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le Blog sur Demande
Le Blog sur Demande
14 octobre 2012

Chacun son truc.

Les meilleurs souvenirs que je conserve de mes études, et qui sont si vivaces qu’ils me font parfois regretter cette époque, ce sont les cours de français.

Je ne parle pas évidemment de ces cours du primaire et du collège, où s’enchaînaient dictées et cours de grammaire (quoique, il y avait aussi la lecture au primaire et les rédactions au collège, et ça ce sont d’excellents souvenirs aussi). Je parle principalement, bien sûr, des explications de texte, des dissertations, de la découverte des grands auteurs et de la réflexion sur leur œuvre.

Lorsque j’ai terminé mon année d’hypokhâgne, j’ai obtenu mon passage en khâgne. Malheureusement, j’avais trouvé mon année très mauvaise. L’objectif du concours, l’ambiance désastreuse entre les élèves prêts à se bouffer tout cru pour gagner des places, et puis les cours que je n’aimais pas : l’allemand, le latin, la géographie. Autant de choses qui m’ont confortée dans mon choix de laisser là les grandes aspirations et de me diriger vers la fac, et si possible vers un cursus un peu professionnalisant dans le monde du livre. Ce que j’ai fait, au final.

Comme tout le monde, il m’arrive de regretter. Évidemment, je sais que je n’aurais pas décroché une place en ENS. C’était bien d’obtenir le passage en khâgne alors que je venais d’un Bac S en plus, mais j’étais loin d’être dans la meilleure hypokhâgne, et loin d’être la première de ma classe. Mais il m’arrive de repenser avec une certaine émotion à mes deux cours préférés, le français et la philosophie.

Il m’arrive surtout de regretter cette fébrilité lorsque l’on découvre le sujet de la dissert du devoir sur table ou de la prochaine colle (mon meilleur souvenir de colle de philo : « le parricide ». Pour les sujets de français, il faudrait que je vous ressorte mes cours, mais souvent lorsque le prof nous lisait la citation que nous devions commenter, il y avait des éclats de rire nerveux dans la salle tant cela semblait incompréhensible au premier abord). Cette fébrilité du « je n’y arriverai jamais », « ah tiens je pourrais parler de ça », « eh, en fait, je sais plein de choses », « merde faut les organiser correctement », « je n’ai pas envie de passer six heures à écrire » (car oui les devoirs sur table en prépa littéraire, en français, duraient 5 ou 6 heures), « maman je veux rentrer chez moi et m’enfouir sous ma couette en pleurant », « allez, commençons par le commencement et prenons le problème petit bout par petit bout : tout d’abord, un plan. »

Finalement, quand j’y réfléchis, cette fébrilité ressemblait beaucoup à celle que je ressens lorsque j’ai une idée de début de roman, mais pas la suite, et que j’essaie de construire un scénario cohérent (ce qui est toujours pour moi l’étape la plus difficile, je suis tellement tentée de ne pas faire de scénario et de me jeter dans l’écriture tout de suite, mais je sais très bien ce que ça donne au final : un blocage à la première difficulté rencontrée, et l’abandon du roman en cours).

Les explications de texte me manquent beaucoup aussi, parce que, désormais livrée à moi-même dans le milieu de la lecture, je trouve ça difficile d’accomplir la démarche soi-même : prendre un classique (pour moi, la poésie de toute époque ou le roman du XIXe siècle restant mon classique de prédilection) et le lire en allant au-delà des apparences.

Si je n’avais pas eu ce cours de poésie sur Guillaume Apollinaire à la fac, il ne serait jamais devenu mon poète préféré.

J’ai parfois l’impression de passer à côté de certaines choses, de certaines œuvres qui, je le sais pourtant, seraient capables de me bouleverser. Bien sûr, certains classiques sont très abordables sans explication de texte, je pense à Zola, et à Alexandre Dumas (qui, à vrai dire, n’est malheureusement jamais réellement considéré comme un auteur classique). Mais Les Misérables, j’ai honte de le dire, ça fait cinq fois que je le recommence, et cinq fois que je l’arrête en cours de route. Idem pour le premier tome de À la recherche du temps perdu, et pourtant j’éprouve une véritable vénération pour la prose de Proust. Les poèmes de Mallarmé que je n’ai pas étudiés me semblent souvent trop obscurs pour être appréciés. Et les exemples sont nombreux.

À l’époque de mes études, j’éprouvais une véritable fascination pour les mots, au-delà des histoires qu’ils permettent de véhiculer, et pour la figure de l’écrivain, complexe et protéiforme. La plume de Flaubert reste l’une de mes préférées. Imaginer la vie des poètes maudits tels que Baudelaire ou Rimbaud a souvent été une de mes occupations favorites. Même la représentation kitchissime de l’écrivain féminin dans Les Quatre filles du docteur March me faisait rêver, à l’époque. Un plaisir que j’ai retrouvé intact lorsque j’ai vu dernièrement le film Jane, sur la vie de Jane Austen.

Concilier ma passion pour les mondes de l’imaginaire, et celle que je ressens pour la littérature classique et les mots en général, ce n’est pas toujours évident. J’ai parfois l’impression d’être deux entités totalement différentes : la fille qui dévore de la SF, de la fantasy, du fantastique, du young adult, la plupart du temps anglo-saxons, et avec toujours plus de plaisir, et la fille qui soupire parfois après la recherche littéraire plus poussée, plus classique. Mais nous sommes tous ainsi, des gens qui n’aiment pas, qui ne peuvent pas entrer dans une seule case.

Il est pourtant une case qui, comme je vous l’ai dit, me fait de l’œil depuis toujours : la case de l’écrivain, et peu importe à quelle réalité elle devra se plier pour que je tienne à l’intérieur.

Je me remémore souvent ce passage à la fin du film L’Auberge espagnole. Lorsque Xavier s’enfuit en courant de son entreprise, et qu’il se rappelle de lui petit disant « moi je veux écrire des livres ». Et qu’il dit simplement « celui-là, je ne veux pas le décevoir ».

Aucun de nous ne voudrait décevoir l’enfant qu’il était. Et pourtant, chacun de nous sait combien la vie nous change et combien nous pouvons, combien nous avons le droit de changer et d’évoluer, dans un sens ou dans l’autre.

Mais peut-être reste-t-il en chacun de nous des rêves immuables. Des choses qui ont tissé une partie de nous, en profondeur. Des choses qui ont évolué d’une certaine façon, mais qui sont restées en réalité à peu près les mêmes.

Des choses qui ne seront rien d’autre que des regrets si l’on ne fait rien pour leur donner réalité.

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité