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Le Blog sur Demande
Le Blog sur Demande
17 juillet 2011

Apocalypse Robots - 1

Après un poste très visuel, un poste très "textuel", qui ouvre une nouvelle catégorie: celle où je vais mettre à disposition des textes personnels, complets ou seulement des extraits.

Je commence par le début d'une nouvelle que je mettrai ici en entier. Je l'ai faite concourir à un appel à textes sur la robotique, mais il n'a pas été choisi. Je garde quand même pour lui une certaine affection, car j'ai beaucoup aimé l'écrire (je l'ai fait en une soirée car je n'ai repéré l'appel à textes que quelques jours avant sa fermeture) et j'aime ce genre de thèmes (intelligence artificielle, post-apo etc). J'espère que ce début vous donnera envie de découvrir la suite!

 

Apocalypse Robots

 

Il ouvrit les yeux.

Sa première action fut de vérifier l’état de son corps. Bouger un bras, une jambe. Les doigts, les orteils. Cligner des paupières. Ouvertes. Fermées. Le monde. Le noir. Actionner les cordes vocales. « Bon…jour. » Cela sonnait éraillé, il y avait sûrement quelque chose de brisé à ce niveau. Il faudrait évaluer les réparations nécessaires plus tard.

Pour le moment, il fallait passer à la seconde salve de vérifications. Résoudre quelques multiplications mentales. Les problèmes de logique habituels. Réciter quelques poèmes, quelques dates d’histoire. La mémoire personnelle, à présent… Là, c’était le néant. Le vide. Aucun souvenir. Cela posait problème. Comment pouvait-il encore servir sa famille s’il n’en connaissait même plus l’identité de ses membres ? Les empreintes vides dans son esprit prouvaient qu’il y avait eu là quelque chose. Qu’il avait déjà vécu, déjà appartenu à des humains. Il ne venait pas de sortir de l’usine de construction. Quelque part, une famille l’attendait, et il allait devoir la retrouver.

Lorsque son analyse de lui-même fut terminée, il passa à celle de ce qui l’entourait. Il était assis, dos contre le mur, dans une petite pièce au plafond en partie effondré. Des rayons de soleil pénétraient par l’ouverture béante, venant caresser les plantes grimpantes qui avaient pris possession des lieux. Des meubles abîmés se dressaient encore ça et là. Des objets divers, éparpillés sur le sol. Il se trouvait dans les ruines d’une maison humaine. « Ma maison ? », se demanda-t-il, un peu perdu. Il se leva et commença à chercher la présence d’un être vivant en déployant toutes ses capacités : vision en ultraviolet ou infrarouge, ouïe surdéveloppée… Il y avait bien de la vie animale, mais aucune vie humaine à des kilomètres à la ronde. Il se sentit désorienté. Il n’était pas fait pour être laissé seul ainsi. Il était un robot nourrice, spécialisé dans la garde de bébés et de tout jeunes enfants. Son environnement habituel était fait de hurlements, de pleurs, de cris de joie, d’agitation. De vie. Il n’était programmé pour rester inactif que lorsque les enfants dont il avait la charge étaient tous endormis. Même sans ses souvenirs personnels, il savait qu’il détestait ces moments-là. Et ici, dans cet endroit lugubre, tout ressemblait trop à un monde où tous les enfants seraient endormis.

Un sentiment de doute, qu’il connaissait mal, s’empara de lui. Avait-il été mis en veille et abandonné ici, contre ce mur ? Si oui, n’était-ce pas son rôle de se rendormir de lui-même, jusqu’à ce qu’un des membres de sa famille revienne ? Mais dans ce cas, pourquoi avait-il perdu sa mémoire personnelle ? Avait-on souhaité… le terminer ? le détruire ? l’abandonner totalement ?

Cette idée lui déplaisait, sans qu’il sache vraiment pourquoi. Il décida de pencher plutôt pour l’autre option : il avait été séparé de sa famille, qui était peut-être en danger, et il avait pour devoir de la retrouver et de savoir ce qui lui était arrivé. Après tout, s’il s’avère qu’il s’était trompé, sa famille le terminerait une fois qu’il les aurait retrouvés. Et il aurait ainsi été sûr de ne pas avoir fait de faux pas.

Il se leva lentement, le craquement de ses articulations résonnant dans le silence, et se mit en route.

 

Il marcha longtemps avant de tomber sur une autre habitation.

Ce n’était pas étonnant. Avec le développement de l’intelligence artificielle, les êtres humains s’étaient vus peu à peu remplacés dans leur milieu professionnel par les robots. D’abord dans le domaine de la production, industrielle comme artisanale, puis dans celui des services à la personne. Peu à peu, l’humain avait appris un nouveau mode de vie, centré sur son développement personnel et ses activités sportives ou artistiques. Peu à peu, la civilisation humaine avait vécu un véritable exode urbain : la concentration n’ayant plus lieu d’être, chaque famille s’était peu à peu isolée dans de grands domaines ruraux, où se côtoyaient souvent grands-parents, parents, oncles et tantes, fils et filles, toutes générations confondues et assistées dans chacune des étapes de leur vie par des robots de service.

Durant sa marche, il avait essayé à maintes reprises de se connecter au réseau pour y apprendre des données essentielles : la date, l’endroit où il se trouvait, les dernières nouvelles du monde. Mais il n’y parvenait pas. Ses connexions avaient du être endommagées.

L’habitation qu’il trouva se révéla elle aussi en ruines et vide de ses habitants. Consterné, il fouilla longtemps les décombres, à la recherche de réponses. Malheureusement, tous les appareils électroniques étaient hors service, et il ne put accéder à aucun journal téléchargé ou directement en ligne. Quelque chose dans la façon dont la maison avait été bâtie lui fit comprendre qu’elle était beaucoup plus récente que celle dans laquelle il s’était réveillé. Mais lorsqu’il eut fini d’en faire le tour, il se sentit très surpris de se rendre compte qu’il n’avait pas trouvé la nursery. Où cette famille avait-elle élevé ses enfants ? Où les robots nourrice avaient-ils effectué leurs tâches ?

Dehors, la nuit tombait. Debout, les pieds dans l’herbe humide, il contempla un moment les étoiles dans le ciel. Soudain, un bruit sous le couvert des arbres du bosquet à quelques pas de lui le fit sursauter. Certains des milliers de contes qu’il avait en mémoire lui revinrent, et il frissonna dans l’obscurité. Lorsqu’on avait un enfant près de soi, il était facile de se montrer courageux pour ne pas effrayer le petit, et pour le protéger en cas de danger. Mais l’absence d’enfant lui faisait prendre conscience de sa propre peur du noir.

Il décida de passer la nuit à l’intérieur, assis à même le sol, le dos contre un mur. Comme les murs en ruine ne suffisaient pas à l’apaiser, il se désactiva après s’être programmé un réveil à l’aube.

 

« Bonjour. »

Il mit quelques instants à émerger de sa veille et à concentrer toute son attention sur son interlocuteur. Devant lui se tenait une femme robot dont il ne réussit pas à reconnaître le modèle ni l’attribution. Elle lui fit un petit signe de la main, comme pour l’encourager à nouer conversation.

« Comme tu es étrange ! De quelle époque dates-tu ? Je n’en ai jamais vu des comme toi ! »

Ainsi donc, il avait été fabriqué plusieurs dizaines, voire centaines d’années auparavant. Il n’avait plus de famille. Il avait effectivement certainement été terminé. Il enregistra toutes ces informations sans savoir quelle conclusion en tirer.

« Comment est-ce qu’on t’appelle ? Moi c’est Chloé.

— Je ne sais plus comment on me nommait. Je suis un robot nourrice.

— Tu veux dire que tu as côtoyé un petit humain ? Plusieurs, même, peut-être ? »

Il ne savait plus, mais cela avait du arriver, oui, sans aucun doute.

« Quelle est ton attribution ? lui demanda-t-il en retour.

— Soins palliatifs. Je m’occupais de l’autre côté de la chaîne de vie humaine. Voilà pourquoi j’ai eu du travail pratiquement jusqu’au bout.

— Au bout de quoi ?

— Au bout du temps de l’humanité. Avant qu’elle s’éteigne. »

Cette fois, il eut du mal à analyser cette information. Elle avait beaucoup trop de répercussions et de conséquences dans chacun de ses fichiers, de ses systèmes. Elle fermait les milliards de processus qui auraient dû rythmer sa vie : à quelle heure l’enfant va-t-il se réveiller ? Boira-t-il un biberon ou mangera-t-il du pain ? Cette donnée sera à calculer selon l’échelle d’âge qui…

Stop.

Tout cela n’avait plus lieu d’être, si l’humanité avait disparu.

Le néant de sa mémoire personnelle sembla gagner le reste de ses fonctions mentales. Il resta silencieux, et ferma les yeux.

« Jonathan.

— Pardon ?

— Je vais t’appeler Jonathan. On a tous besoin d’un nom pour être appelés ! »

Il la regarda, consterné. Pourquoi aurait-on besoin d’un nom s’il n’y avait plus d’humains à servir ? La pensée, troublante, comme quoi il n’aurait jamais du se réveiller, l’effleura soudain.

Il secoua la tête pour s’éclaircir les idées.

« Depuis combien de temps ?

— Je ne sais pas. Il en reste peut-être, d’ailleurs. C’est difficile à savoir depuis que le réseau a disparu. »

Encore une nouvelle angoissante. Comment le réseau avait-il pu disparaître ? Où donc s’en étaient allées toutes les informations qui le constituaient et se renouvelaient sans cesse, dans une multitude d’échanges sociaux virtuels permanent ?

« Mais… Que s’est-il passé… ? »

De vieilles images défilèrent dans son esprit. La guerre. Les champignons atomiques. Les camps de concentration. Les milliers de morts que l’humanité n’avait cessé de cultiver tout au long de son histoire, avant que l’avènement des intelligences artificielles fasse peu à peu s’éteindre les conflits.

« Oh, rien de bien spectaculaire, répondit-elle comme si elle avait deviné ses pensées. Ils ont arrêté de faire des enfants.

— Mais pourquoi ?!

— Ça s’est fait comme ça, tu sais. Il n’y a pas de raison particulière. À force de s’éloigner physiquement les uns des autres, d’entretenir des liens virtuels, de nous laisser nous occuper d’eux tout le temps, ils se sont désintéressés les uns des autres. »

Cette fois-ci, c’était sûr, il n’arriverait pas à prendre ceci en compte. L’humanité s’était éteinte. D’elle-même. Parce qu’elle avait cessé de faire des enfants. Les enfants dont il était censé s’occuper.

Un gémissement sourd s’échappa de ses lèvres, et il dut s’accroupir pour éviter que son système ne se mette de lui-même en veille, épuisé par toutes ces révélations.

« Respire », lui dit Chloé en venant lui masser doucement les épaules. « Respire. »

 

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