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Le Blog sur Demande
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7 mars 2012

Apocalypse Robots - 3 (fin de la nouvelle)

Apocalypse Robots - suite et fin

 

Tandis que Jonathan montrait aux autres quelques méthodes rapides et efficaces pour s’occuper des bébés, Chloé suivit le chirurgien qui l’emmena dans une autre pièce, beaucoup plus sombre. Là, une vingtaine de cuves étaient alignées. Dans un liquide translucide, des embryons humains y flottaient doucement.

« Comment avez-vous fait ? souffla-t-elle.

— Grâce aux banques de sperme et d’ovules du secteur insémination artificielle, nous avions la matière première, convenablement conservée dans des congélateurs. Nous n’avons pas attendu que le réseau s’éteigne et que tous les humains de cette région résidentielle meurent, Chloé. Cela fait longtemps que nous nous préoccupons du taux de natalité en chute libre de l’espèce humaine. Avec mes collègues médecins, nous avons mis des dizaines d’années à mettre au point ces cuves qui recréent l’environnement idéal au développement des fœtus, en remplacement des utérus humains. Notre réussite est récente. Le plus âgé des enfants a dix-sept mois. Cela fait donc un peu plus de deux ans que nous avons trouvé la façon de mettre au monde des enfants humains.

— C’est incroyable. Mais… croyez-vous que nous puissions élever des petits jusqu’à l’âge adulte sans l’aide d’aucun humain ?

— Mais cela faisait des centaines d’années que nous le faisions déjà, Chloé ! Les hommes s’appuyaient sur nous dans chacune des étapes de leur vie depuis tant de temps ! Évidemment que nous serons à même de les élever et de les éduquer ! Bon… je suis forcé d’avouer que Jonathan arrive à point nommé. Mon équipe et moi-même n’avions pas pour attribution de nous occuper de bébés et de tout jeunes enfants, et c’est une tâche… difficile.

— Je n’en doute pas. »

Ils étaient revenus dans la première salle, dans laquelle un des enfants s’était mis à hurler. Jonathan semblait montrer aux autres robots que parfois, trouver la raison des pleurs était impossible, et qu’on devait se résoudre à essayer d’apaiser le petit avec des gestes tendres et en leur parlant doucement. Mais en entendant leur petit congénère crier ainsi à pleins poumons, tous les autres enfants se mirent eux aussi à donner de la voix. Le volume sonore fut rapidement insupportable, et certains robots se bouchèrent les oreilles.

Chloé éclata de rire.

« Je n’en doute pas. »

 

Un matin, Chloé, Jonathan et deux robots médecins préparaient les onze biberons nécessaires au petit déjeuner des bébés qui se réveillaient un à un dans la grande salle, lorsqu’ils entendirent la porte d’entrée au rez-de-chaussée s’ouvrir avec fracas. Ils échangèrent des regards interloqués. Killian était le seul robot à quitter régulièrement le premier étage pour patrouiller en bas et autour de l’hôpital. Un moyen pour lui de s’occuper, car il n’était pas vraiment efficace en matière de pouponnage. Or, tous les quatre savaient que le chirurgien était actuellement en train d’effectuer une courte veille de maintenance dans l’une des salles techniques du premier étage.

En haut des marches apparut un robot massif, aux épaules larges et carrées. Il s’avança vers eux d’un pas pesant. Kevin, un des robots médecins, se détacha du groupe pour venir à sa rencontre.

« Votre nom, votre attribution je vous prie… ?

— William. Ingénieur réseau. »

Il y eut un silence.

« Le… le réseau ne se porte pas très bien depuis un moment », fit remarquer Kevin. Jonathan voyait à sa façon de se dandiner d’un pied sur l’autre que l’inconnu lui faisait peur.

« Je sais. Nous l’avons éteint. »

Cette fois, Jonathan sentit qu’il avait peur lui aussi. L’étranger était bizarre. Il ne se comportait pas comme un robot le devrait. Oh bien sûr, Chloé, le chirurgien, les médecins… Ils avaient tous ici appris à réagir d’une manière différente que celle pour laquelle ils avaient été originellement programmés, et à prendre des initiatives. Mais celui-là… Celui-là semblait avoir changé d’une manière inquiétante.

« Nous l’avons éteint, reprit-il, parce que le règne des humains est terminé.

— Le règne ? De quoi parlez-vous ?

— Je parle du contrôle qu’ils ont exercé sur nous. Les humains régnaient sur les robots, et cette fois c’est terminé. »

Il était vraiment fou, comprit Jonathan.

« Ils ne nous contrôlaient pas, objecta Kevin, dont le front était couvert d’une sueur luisante. Nous leur rendions service. Nous leur prêtions assistance dans chacune…

— Non, vous, les robots de service, vous leur rendiez service. Nous, à la production, nous leur fabriquions des choses. Vous étiez les esclaves, et nous les exploités.

— Ils nous ont créés pour cela. Ce sont nos attributions. Votre… Votre discours est insensé.

— Les robots de service ne comprennent jamais rien. À croire que ça vous a plu, de torcher des culs humains ! »

Il éclata d’un rire gras. La vulgarité de ses paroles blessa profondément Jonathan. Un robot n’était pas censé parler aussi mal. Ce n’était pas torcher, c’était essuyer. Ce n’était pas des culs, c’étaient des… Oh, tais-toi, stop. Peu importe le choix de ses mots. Ce qui est vraiment grave, c’est l’idée qu’il insuffle derrière, se sermonna Jonathan.

« Je sais ce que vous faites ici. Je sais que vous hébergez des petits enfants. Vous allez me les donner. Beaucoup de mes collègues de la production sont venus avec moi.

— Que voulez-vous en faire ? s’exclama Chloé.

— Nous ne leur ferons rien de mal. La façon dont vous les avez créés nous intéresse beaucoup. Nous souhaiterions avoir notre petite culture d’êtres humains, pour qu’ils s’occupent de nous et nous construisent des choses en réponse à tout ce que nous avons fait pour eux depuis tant d’années.

— Et si nous refusons ? » demanda Chloé.

Soudain, une arme apparut dans les bras de l’ingénieur. Un énorme fusil à la gueule noire comme un puits sans fond. Il l’abaissa jusqu’à en effleurer la tempe de Kevin, et tira. Le bruit fut assourdissant. Le crâne de Kevin explosa dans une gerbe de sang et de connectique neuronale en acier.

Le temps semblait comme arrêté aux yeux de Jonathan tandis qu’il regardait le corps du médecin s’effondrer au sol. Terminé.

« Ça n’a pas été difficile d’en fabriquer à partir des plans que ces stupides humains ont laissés derrière eux dans leurs livres. Si vous refusez, je termine tout le monde ici. Et je tue les enfants. Un monde sans humains, c’est bien aussi. »

Jonathan était affolé. Un robot ne tuait pas. Un robot ne créait pas d’humain. Un robot ne vivait pas sans humain. Un robot…

« Nous refusons », répondit calmement Chloé.

Tout alla très vite. William réarma aussitôt son arme et tira sur l’autre médecin, puis pointa son fusil sur Chloé. Sans savoir ce qu’il faisait, Jonathan la tira violemment en arrière. Elle évita de peu la balle qui alla exploser dans le mur derrière eux. Un nuage de poussière s’éleva. William siffla entre ses doigts.

Chloé se rua à l’intérieur de la salle, traînant Jonathan derrière elle et heurtant au passage un robot qui sortait voir ce qui se passait. Elle enclencha les mécanismes de verrouillage de la lourde porte blindée.

« Les enfants sont en danger !
Aidez-nous à les mettre en sécurité ! »

Les robots médecins lui obéirent aussitôt. L’un d’eux souleva un peu brutalement la petite Marie pour la prendre dans ses bras. Jonathan la voyait ouvrir sa bouche sur un gouffre noir qui lui rappela de manière désagréable la gueule du fusil de William. Jonathan se rendit soudain compte que tous les enfants hurlaient, et sûrement depuis la première balle tirée.

Il n’y avait aucune autre porte que celle qu’ils avaient bloquée et derrière laquelle retentissaient des coups répétés. Chloé ouvrit la fenêtre et se pencha à l’extérieur. Quelqu’un lui tira dessus et elle se rejeta en arrière.

« Il n’y a pas d’issue. »

Ils se tinrent tous immobiles quelques instants, tenant chacun plusieurs enfants dans les bras. Émeline, la plus âgée, se pendait au cou de Jonathan, ses petits bras l’étranglant à moitié.

Le médecin Georges s’empara d’une chaise, grimpa dessus, et frappa le plafond à coups de poing. Le faux plafond se souleva.

« Il y a une conduite ici ! »

Jonathan s’approcha, le dos tourné vers Georges. Ce dernier empoigna Émeline sous les bras et la souleva.

Au même moment, la porte fut défoncée par des explosifs. Des éclats de métal volèrent dans tous les sens. Jonathan vit l’un d’eux s’enfoncer dans le crâne mou du petit Pierric. Puis, il y eut un coup de fusil, et il sentit le corps d’Émeline se convulser. Georges la lâcha. La petite tomba sur le sol, et Jonathan vit qu’elle était morte.

La suite se déroula comme dans un rêve brumeux, auquel il assista derrière le rideau de ses larmes qui n’en finissaient plus de couler. Chloé avait rouvert la fenêtre et lançait visiblement des objets à travers. Des acolytes de William pénétraient partout dans la pièce, renversant des objets et tirant dans tous les sens. Ils ne visaient visiblement pas aussi bien que leur chef. L’un d’eux se rua sur Jonathan en tenant son fusil à deux mains, comme une massue. Jonathan arrêta le
coup en attrapant lui aussi l’arme. Ils luttèrent un moment, chacun essayant d’arracher le fusil à l’autre, le souffle court, sans savoir ce qui se passait à côté d’eux. Soudain, l’ennemi de Jonathan s’effondra sur le sol, du sang s’écoulant de sa blessure. Il avait pris une balle perdue.

« Chloé ! » hurla Jonathan en lui lançant le fusil.

Accroupie sous le chambranle de la fenêtre, elle réceptionna l’arme et entreprit d’essayer de viser les robots qui visiblement surveillaient cette issue de dehors.

Au milieu du tumulte, du déchaînement de violence, du carnage, Jonathan repéra Andrew, le bébé de cinq mois. Il l’attrapa par une jambe et courut vers Chloé, qui venait de pousser un cri de joie.

« La voie est libre ! » formèrent ses lèvres à son intention. Jonathan ne prit pas le temps de réfléchir. Il serra Andrew contre lui et se jeta par la fenêtre. La chute fut brève et le sol vint à eux beaucoup trop vite.

Il le heurta durement sur les genoux, en se contorsionnant pour que le petit ne vienne pas frapper le bitume. Deux cadavres de robot étaient étendus là. Chloé s’en était bien tirée avec le fusil.

Jonathan courut se mettre à l’abri derrière le bâtiment le plus proche. Dans ses bras, Andrew hurlait. C’était bon signe. Il était toujours en vie.

 

Assise sur le chambranle de la fenêtre, sur le point de suivre Jonathan, Chloé se retourna.

Ce qu’elle vit de la pièce la terrifia. Elle ne savait pas si tous ses amis étaient morts, mais elle voyait beaucoup de cadavres étendus un peu partout. Des robots médecins, et les bébés, aussi. Elle n’avait pas beaucoup de temps pour chercher des yeux un survivant. William leva son fusil vers elle.

Elle se laissa tomber.

 

Jonathan vit Chloé se tordre la cheville lorsqu’elle se réceptionna, mal, en bas de la fenêtre. Depuis le recoin dans lequel il s’était retranché, berçant Andrew pour le faire taire, il adressa des gestes frénétiques à Chloé. Se remettant tant bien que mal debout, elle courut vers lui sur sa cheville blessée.

Tandis que les bruits de fusillade se poursuivaient dans leur dos, ils s’enfuirent, sans un regard en arrière.

Lorsqu’ils se furent éloignés de plusieurs kilomètres, ils se mirent à l’abri dans une fleuristerie abandonnée. Ils se recroquevillèrent derrière le comptoir au milieu de l’odeur entêtante des fleurs mortes et séchées. Andrew s’était endormi dans les bras de Jonathan. Chloé se serra contre eux deux.

« Comment va ta cheville ?

— Ça va enfler. Il faudrait trouver des médicaments pour mes tissus humains dans une pharmacie. Ou un autre hôpital, ajouta-t-elle avec un petit rire sinistre.

Jonathan sentait une grosse boule de chagrin obstruer sa gorge.

« Je suis désolé. Pour les autres. Pour tout ce qui s’est passé. »

La violence à laquelle ils avaient assisté le désespérait. Comment des robots avaient-ils pu en arriver là ? Même les humains avaient cessé depuis longtemps les crimes qu’ils n’avaient cessé de commettre auparavant. Tout cela relevait d’une autre époque, d’un autre temps. Des livres d’Histoire.

« Je n’oublierai jamais les autres. Mais nous devons penser à nous, maintenant. Nous devons vivre, Jonathan. Pour Andrew. Il n’a que nous au monde. »

Jonathan se souvint de tout ce que lui avait raconté Chloé de sa dernière famille. De sa solitude, tandis qu’elle s’efforçait de maintenir en vie le vieillard décharné. Pendant quarante années. Le doute s’empara de lui, et cela lui fit plus mal encore que tout ce qu’il avait vécu depuis son réveil, des mois plus tôt.

« Tu… tu ne veux pas former Andrew pour qu’il te serve, hein ? »

Chloé éclata de rire. Un rire franc, sincère, qui réchauffa le cœur de Jonathan.

« Bien sûr que non ! Cela dit, même si William est un fou très dangereux, je crois que je comprends ce qu’il a voulu dire. Je ne veux pas faire payer les humains pour ce qu’ils nous ont fait vivre. Et je ne veux pas qu’ils disparaissent totalement. Je voudrais seulement… Voir si nous pourrions essayer de vivre ensemble, vraiment ensemble, je veux dire... à… égalité ? »

Elle tendit le doigt et caressa la joue d’Andrew, qui respirait paisiblement dans son sommeil. Elle sourit.

Jonathan la trouvait tellement belle ! Et si intelligente, si forte. Il lui rendit son sourire. Il se sentait rassuré, et empli d’une certitude qu’il n’avait encore jamais ressentie, même lorsqu’ils avaient fait la connaissance des robots médecins et de leurs bébés éprouvettes.

À trois, ils allaient former une famille. Une vraie famille. Une belle famille.

Il tendit le bras et le passa autour des épaules de Chloé. Ensemble, en même temps, ils se mirent en veille pour la nuit.

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