Souvenirs de danse classique...
Quand j'étais petite, j'ai fait six ans de danse classique.
Six ans, ce n'est pas énorme non plus, surtout que ça a été entre mes 7 et mes 13 ans. Autrement dit, ça fait plus de 10 ans que je n'en ai pas fait.
Depuis quelques mois, j'y repense. Ca me vient par vagues presque agressives. Je me souviens qu'à l'époque, c'était une véritable passion. Je faisais 3 heures de danse par semaine. Je répétais sans arrêt mes chorégraphies. Je m'entraînais. Je lisais des livres sur la danse, je regardais des ballets à la télévision. Ma grand-mère maternelle m'a offert un petit cadre avec une danseuse en dentelle - un objet certes un peu kitsch, mais que je garde précieusement en son souvenir. Ma grand-mère paternelle, quant à elle, m'avait emmené voir Billy Elliot au cinéma. C'est le dernier film que nous avons vu ensemble, et je me souviens qu'elle perdait déjà un peu la tête.
Ces six années de danse, je les ai faites en conservatoire, celui des Halles, dans le centre de Paris. Les cours étaient exigeants, mais les profs, la plupart du temps, adorables. Nous avions chaque année un spectacle que nous donnions devant plusieurs centaines de personnes (avec d'autres groupes de danse bien sûr), et un examen final où nous étions jugées (je mets un -e car je n'ai jamais eu la chance d'avoir un garçon dans un de mes cours) par trois jurés revêches qui décidaient si nous pouvions passer à l'année supérieure au conservatoire, ou pas.
La première ou la deuxième année, je ne me souviens plus exactement, les jurés s'étaient adressées à une de mes copines, une petite blonde qui aimait la danse mais qui était un peu grassouillette. Je me rappelle de leurs mots. Ils lui avaient demandé "si une copine t'invite à un anniversaire tel jour, est-ce que tu sècherais le cours de danse pour y aller?". Je me souviens de la confusion de la petite, qui avait fini par répondre que oui. Ce à quoi les trois jurés s'étaient regardés avec l'air de dire "je le savais". Ils lui avaient ensuite dit: "c'est que tu n'es pas faite pour la danse classique, ma petite. Sinon tu n'aurais jamais envie de rater un cours." Elle avait été recalée. Je ne l'ai pas revue ensuite. Je me souviens que ma mère m'a alors dit "ça, c'est parce qu'ils la trouvent trop grosse". Ma mère n'était pas très contente. Moi, j'ignorais que je subirais presque le même sort, quelques années plus tard.
De tous mes professeurs de danse, l'un d'entre eux m'a particulièrement marquée. Je l'ai eu deux années de suite, et c'était un homme extrêmement gentil et prévenant. Ce sont, et de très loin, mes meilleures années de danse de toute ma vie. Il se trouve que ce monsieur - mais à l'époque je m'en fichais bien - n'était pas n'importe qui. Il s'agissait de M. Norodom Sihamoni, devenu depuis roi du Cambodge. Je vous mets ici son histoire:
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/sihamoni-roi-khmer-par-devoir_854627.html
Ces deux années-là, je m'étais faite des copines que j'adorais, dont une, Pauline, qui est ensuite rentrée à l'école de danse des petits rats de l'Opéra. J'ignore si elle est allée jusqu'au bout, je l'ai cherchée sur Facebook et sur Internet, mais je ne l'ai jamais retrouvé. Je me souviens qu'elle m'avait invitée chez elle un jour, à son anniversaire. Elle n'avait voulu manger qu'un tout petit bout de gâteau, parce qu'on lui avait dit qu'elle devait maigrir pour être danseuse étoile plus tard. Je me souviens que ses omoplates saillaient alors déjà de son dos.
Malgré les mauvais côtés de la danse classique en conservatoire - vous l'aurez compris, le culte de la maigreur et la compétition - j'ai passé vraiment d'excellents moments. J'adorais les exercices à la barre, j'adorais les chorégraphies au centre de la salle. Le pianiste. Les "ordres" du prof, exactement comme dans Billy Elliot. "Et on tient... et on tient...". Le mien, c'était toujours le même "baisse les épaules, Hélène!". Pour d'autres c'était "rentre les fesses!" "rentre le ventre!" J'aimais la rigueur des positions, la souplesse et le maintien qu'elles exigeaient. Ma figure préférée, c'était l'arabesque.
Et que dire de l'année où nous avons enfin été autorisées à chausser des pointes? Je m'en souviens tellement. Aller acheter ces gros chaussons impressionnants chez Repetto. Les "casser" avant de les mettre. Les enduire de talc (était-ce du talc ces bacs blancs à l'entrée des salles? je ne me souviens plus). Nouer les rubans de satin autour des mollets. Et puis, grimper sur pointes, et sentir qu'on tient, qu'on a le bon équilibre.
Bon, le bon équilibre, je ne l'avais pas tout le temps, hein. Personnellement, ma bête noire, c'était les pirouettes. L'horreur. Je n'arrêtais pas de tomber ou de mal me réceptionner. Et quand on essayait 10, 15, 20 pirouettes sur pointes, qu'est-ce qu'on avait mal aux pieds à la fin pour le coup!
Il n'empêche, ça avait quelque chose de magique.
Et puis, il y a eu la dernière année. Cette année-là, tout allait de travers. J'étais la seule du cours à avoir désormais la silhouette d'une adolescente. Je me suis mise à haïr ma prof quand elle m'a crié en plein cours: "penche-toi plus en arrière, Hélène, les nichons vont pas ressortir!". La première année où quand je me regardais dans l'immense miroir de la salle, j'avais l'impression d'être une baleine -impression qui depuis ne m'a jamais quittée, et chaque fois que j'ai un cours de danse devant un miroir, que ce soit du bollywood, de la zumba, de la danse de salon, du dancehall, je fuis à tout prix l'image de mon propre corps.
Et puis, le premier examen qui s'est mal passé. Moi, je n'ai pas eu le droit à la question "sècherais-tu un cours pour aller à l'anniversaire d'une copine?". Je devais être trop âgée pour ça. Moi j'ai eu le droit à : "bon, ta prestation mérite un 16. Mais tu es trop grosse pour faire de la danse classique, alors on te met 12. C'est pour t'encourager à perdre du poids." Je ne sais plus si c'est exactement ce qui s'est dit, ni si ce sont exactement ces notes-là. Les souvenirs s'estompent - même les mauvais. Il n'empêche, je me souviens très bien de la teneur du message.
Je suis rentrée et j'ai dit à ma mère que je ne me réinscrirais pas à la danse classique l'année d'après. Elle n'a pas protesté.
Désormais, j'ai donc essayé bien des danses différentes. Toutes m'ont plu - j'adore danser, de toute façon. Mais depuis quelques mois, l'envie de retourner aux origines me taraude. L'envie de faire des pliés et des ronds-de-jambe à la barre. L'envie de retrouver ce maintien du corps, cet affinement des muscles, cet équilibre. L'envie de refaire des pointes, aussi.
On verra bien. L'angoisse de mon dernier examen, surtout avec les années qui sont passées et les kilos qui se sont accumulés, ce n'est pas un mince obstacle. Ce n'est pas fait pour les grosses, la danse classique.
Et vous M. Norodom, est-ce que vous dansez encore?